Radicalité et modération – étude du cas Macron et Le Pen

Je ne suis pas expert en campagnes électorales loin de là, mais je vais quand même essayé de donner mon avis sur le problème de l’extrême droite en période d’élections, et spécialement celui du RN en ce moment. Son problème semble résider dans le mauvais dosage de la radicalité et la modération. Souvent, il est fait l’erreur que ces deux concepts seraient contradictoires. Mais en vérité, dans la rhétorique et le débat public en général, ces deux concepts ne s’opposent pas mais se complètent. Une vraie dédiabolisation ne peut en vérité pas se faire sans une proportion de radicalité.

Le cas Macron, égérie du centrisme

Il est difficile d’être plus rassurant que le candidat Macron, qui est le système tel qu’il a toujours été et tel qu’il sera toujours. Nous vivons dans un environnement politique ou rien ne bouge, rien ne change, rien n’a de conséquences, et cette situation est rassurante pour beaucoup de Français. Macron est l’incarnation de cette immobilité. Il parait donc pour modéré. Mais pour autant, il sait très bien gérer sa radicalité aussi. Il ne donne pas l’impression d’être mou. Il donne l’impression de dire les choses telles qu’elles sont. De pourfendre le faux discours et la fausse simplicité, de prendre des mesures radicales aussi qui vont dans le sens de la préservation de l’immobilisme: “Il faut sauver le système du populisme, des incendiaires, des obscurantistes.” Il connait très bien la faiblesse du populisme, et gagne beaucoup de popularité grâce à cette compréhension. Ses électeurs savent que le système est en grave danger, et sont donc très demandeurs de ce dosage modération/radicalité.

Le cas Le Pen, la difficile équation du patriotisme anti-raciste

Le RN, lui, est un objet beaucoup plus difficile à cerner. C’est le manque de lisibilité et le doute sur sa sincérité qui lui font du tort, et qui l’empêche de terminer sa dédiabolisation.

Le problème de la modération du RN est que son discours dit à la fois que l’immigration doit être arrêtée dans les propositions, et en même temps que l’immigration ne pose pas vraiment problème dans le discours. Plus le discours se modère sur le danger qui représente l’immigration, plus sa ligne devient incohérente. Prenons son discours sur l’islam, qui est l’exemple le plus flagrant. Si l’islam n’est pas un problème et se trouve être compatible avec la République, que les musulmans sont patriotes en majorité exceptés quelques racailles, pourquoi devoir arrêter l’immigration de masse? Ce discours fonctionnerait si le RN se limitait dans ses propositions uniquement au sécuritaire, et deviendrait un sarkozysme bis. Tout ça fait que sa modération ne parait pas sincère.

Il y a la tentation de s’engouffrer dans la brèche et de puiser dans l’équilibre modéré/radical de l’autoritarisme universaliste. Antiraciste et dictatorial à la fois. Mais ce serait être très imprudent car ce discours ne repose en vérité sur rien de factuel et de défendable dans un débat télévisé. L’assimilation? Oui mais qui est français et qui ne l’est pas? Tout cela est relatif et non sujet à des lois. Après tout les peuples s’auto-définissent. Jusqu’où faut-il aller dans la voie radicale de la privation de liberté? Et n’y a t’il pas un effet pervers à dire que l’assimilation de 15 millions de personnes issue d’une immigration massive passée est possible, alors qu’on a pour programme de s’opposer à une immigration future?

D’autre part, se couper de sa radicalité, c’est se couper des gens les plus motivés à faire campagne. On se retrouve avec un discours acceptable pour la majorité des électeurs, mais avec plus aucun carburant pour aller le porter sur la place publique. En France, le danger numéro 1 semble être l’abstention. Et dans notre cas, beaucoup beaucoup trop de gens anti-immigration, presque la moitié parfois, ne vont tout simplement pas voter.

Le Trump de 2016 savait très bien gérer sa radicalité. Le Trump de 2020 est un très bon exemple de modération ratée. Il a oublié qu’il fallait faire comme si l’électorat blanc n’existait pas (modération), mais ne pas oublier qu’il existe pour pouvoir lui parler (radicalité). Sa défaite s’expliquait principalement par les pertes qu’il avait subi sur cet électorat. L’abstention des régionales me semblent un signe d’une telle dynamique pour le RN.

Une chose récente vient empirer la situation et la rendre irrécupérable: la confrontation avec le cas Zemmour, censé pourtant offrir sur un plateau d’argent une image modérée au RN. Pour pointer la radicalité de Zemmour, certains termes hyper-anxiogènes sont utilisés pour décrire à quoi résulterait sa radicalité: “Saint Barthelemy”, “guerre civile”. Or, dans l’esprit de ceux qui l’entendent, cela veut bel et bien dire que la situation est si grave qu’un tel excès de violence serait la seule solution pour en sortir, ce qui n’est à l’heure d’aujourd’hui pas encore vrai.

Ce sabotage de l’issue de secours pacifique, dans l’optique de se modérer, me semble l’erreur qu’ils ne devaient surtout pas commettre. Et qui nuit gravement à tous ceux qui luttent contre la submersion migratoire. Il en résulte dans le discours que la solution à l’immigration de masse passera obligatoirement par le massacre (ce qui est faux). Il en résulte l’impression que soit le RN ne fera rien, qu’il n’est pas nécessaire de mettre en danger son “crédit social” pour eux, soit ce sont au contraire des loups qui se déguisent en agneaux.

L’équilibre modération/radicalité possible du discours du changement de peuple

Le RN gagnerait non pas à se laisser embarquer dans un duel modéré/radical avec Zemmour, mais à garder sa radicalité dans le discours, en l’accordant mieux avec ses propositions. C’est à dire bien choisir la manière dont il doit être radical.

MLP a fait le choix de mettre le paquet en termes de radicalité sur l’islamisme. Mais c’est un sujet qui est très glissant. La lutte contre l’islamisme est en vérité la lutte contre l’islam. Tout le monde le comprend intuitivement. La conséquence est que le discours “on ne fera rien à l’islam, mais on sera très radicaux envers l’islamisme” en devient inquiétant et ne parait pas modéré non plus. On comprend qu’on va aller traquer les femmes voilées par exemple, alors que 35% des femmes musulmanes portent le voile et plus de 57% des jeunes musulmans mettent la charia au dessus des lois de la République. Le RN s’engage sur une voie floue où l’on voit mal quelles propositions viendraient à bout d’une telle islamisation de l’immigration musulmane des 50 dernières années. Les musulmans sont effectivement musulmans.

L’angle idéal qui permet de mieux gérer la radicalité/modération pour le RN me semble celui du changement de peuple. Il a un programme déjà assez fort là dessus: arrêt des naturalisations + début de déchéance de nationalité pour les islamistes + expulsion des étrangers ayant commis des délits. Ce discours ne cible pas de façon inconstitutionnelle une religion, il parle de ce que tout le monde voit, il parle du cœur du problème, et qui parlent même aux populations d’outre-mer.

Ironiquement, c’est d’ailleurs sur ce thème que MLP a été au mieux rhétoriquement. Quand elle parlait de mettre des sanctions économiques et de couper les aides au développement aux pays refusant de reprendre leurs clandestins par exemple. Tout comme lorsqu’elle parlait de son programme de natalité qui prenait à bras le corps le problème démographique. C’était radical, sans être outrancier. Là le dosage était bon, et le discours faisait mouche.

Le contexte, c’est qu’une nouvelle force politique est née en réponse au populisme: le centrisme. Il convient de la comprendre, surtout pour battre quelqu’un d’habile comme Macron. C’est un amalgame de modération et de radicalité, qui réussit à faire la synthèse modération/radicalité que l’extrême-droite n’a pas su manier. Je ne sais pas si la solution que j’évoque en solution est la bonne, mais la logique décrite dans cette alchimie entre ces deux concepts qui s’opposent est réelle.

Peter Columns

Entrepreneur, ingénieur spécialisé dans les technologies d’Intelligence Artificielle.