Individualité et discipline: la spécificité unique et irremplaçable des peuples occidentaux

Si l’on observe attentivement tous les débats qui peuvent avoir lieu dans notre société, un schéma revient très souvent. Étant donné notre époque de changements démographiques majeurs, tout problème ne peut être compris sans aborder cet angle. A tout moment dans toute conversation politique avec quiconque, une seule question devient légitime: “Est ce que la disparition de la civilisation occidentale ne vous pose pas un problème?”. La réponse à cette question classe irrémédiablement tout individu parmi deux ensembles qui ne se comprennent plus et ne pourront plus jamais se comprendre.

Art, sciences, lois, libertés, prospérité… Les bienfaits de cette civilisation sont très nombreux depuis déjà des siècles, et de nombreuses personnes pensent désormais que les fruits de cet arbre sont reproductibles, par la magie de l’universalisme. Ainsi, le projet politique d’abattre l’arbre parait plus acceptable. Pourtant, tout semble indiquer que cet arbre est unique, et qu’il ne saurait repousser ailleurs sous quelque condition que ce soit.

Pour comprendre l’origine de l’arbre Occident, il est nécessaire de se poser la question des caractéristiques qui le rendent si spécial. Je vois alors deux raisons principales.

 

Les deux raisons du succès de l’Occident: individualité et discipline

La première est l’individualisme. Il est capable d’exploiter toute l’inventivité des peuples occidentaux, leur donnant la possibilité de créer, d’entreprendre, de penser différemment et donne la possibilité à chaque individu d’avoir un impact sur le monde.

C’est une caractéristique profonde, qui se retrouve jusque dans les textes sacrés du christianisme sous forme de paraboles, laissant la liberté au lecteur d’interpréter, ou bien dans la tradition oratoire de l’agora grec. Elle est inscrite dans notre façon même de lire.

Les textes ne sont jamais figés. Le nouveau testament lui même est une mise à jour de l’ancien testament. Le dialogue est alors essentiel. Si rien n’est figé, chacun peut marquer l’histoire, il s’agit de convaincre de sa vision du monde ou de son projet. L’ambition est possible.

La seconde raison est la discipline. Sans discipline, l’individualisme est mortifère. Elle est ce qui permet à la société de faire corps. La discipline est à la fois comportementale et mentale: le respect des autres et l’usage de la raison.

La raison est un protocole qui permet à chacun de débattre avec autrui de sa propre vision du monde. Elle est aussi ce qui permet de convenir de normes et de lois communes. C’est ainsi que notre système législatif existe, sans être figé.

Progressistes, conservateurs ou réactionnaires s’affrontent sur ce code législatif en usant de cette raison, faisant en sorte que le système soit le meilleur possible. C’est la raison qui permet de les départager.

La discipline incite à l’esprit légaliste, respectant les normes décidées. C’est en respectant les lois que je respecte les autres. L’Occident présente ainsi une idée de l’État extrêmement forte malgré son individualisme.

Combien de civilisations offrent une confiance suffisante dans l’État pour inventer une système de retraite ou bien un système de sécurité sociale? Combien de civilisations sont capables de faire tenir dans des tranchées sous des pluies d’obus des millions de soldats pendant quatre ans? Très peu.

 

La puissance de l’Occident vient justement de cette capacité a ménager ces deux aspects: cet équilibre nous permet d’être à la fois créatifs, organisés, polyvalents, confiants, capables à la fois de commander, de respecter les ordres et de les adapter par l’initiative.

Ces réflexions m’ont beaucoup perturbé lorsque j’ai pu vivre en Asie du Sud-Est. Une telle discipline de la part des peuples asiatiques rendait la chose complètement incompréhensible: comment se fait-il qu’ils ne soient pas les maitres du monde? J’étais (et je suis encore) vraiment admiratif.

Puis à force d’observation, j’ai fini par comprendre. Cette courroie de transmission entre individualisme et discipline est essentielle. L’individualisme permet l’exploration et la découverte, la discipline permet le tri et la cohésion.

 

La courroie de transmission entre individualité et discipline se cristallise dans le rapport au texte, élément fondateur pour toute société humaine. Exemple appliqué: la réception des textes grecs dans le monde latin et islamique

L’Occident désirait au X-XIIe siècle se procurer les textes grecs pour comprendre son propre héritage, à commencer par l’héritage biblique du Nouveau Testament. Cette quête était motivée par une recherche profonde de connaissance de soi. L’Occident voulait un accès direct aux textes pour mieux les comprendre. Ce fut l’application majeure de son principe de discipline.

Cependant, l’Occident ne s’est pas contenté de reconstruire cet héritage: il l’a dépassé. Il a intuitivement compris que ce qui importait n’était pas ce que les grecs avaient pu dire. L’essentiel était l’énergie qui avait poussé les grecs à révolutionner tant de choses. Chaque individu devait avoir l’accès au texte, chaque individu devait avoir la possibilité d’élaborer sa propre pensée. Ce fut l’application majeure de son principe d’individualisme. La révolution de l’imprimerie était alors programmée.

Là où l’Occident s’est reposé sur l’héritage grec pour comprendre sa propre histoire, il a pu par lui-même le dépasser et le remettre en question. 

A ce niveau, le parallèle entre la civilisation occidentale et celle islamique est riche d’enseignements. Quel est le problème fondamental de l’islam? Ce n’est pas le Coran, ni les hadiths. Le problème de la civilisation islamique est son rapport au texte. Littéral, absolu, inchangeable.

Et de manière ironique, étudier l’islam a été un plaisir pour moi car cela m’a permis de réaliser beaucoup de choses sur le rapport au texte occidental. J’ai réalisé que les occidentaux ne comprennent pas l’islam car ils plaquent sur les textes islamiques le rapport au texte occidental.

L’Islam a eu accès aux textes grecs, mais il n’en a pas fait le même usage que les occidentaux. Avicenne se contentait de reproduire les textes de médecine grecs sans chercher à les dépasser. Le texte faisait lieu de loi.

Averroès utilisait les textes d’Aristote pour affiner les lois de la charia. Sous l’œil islamique, l’héritage grec n’était plus une discipline mentale donnant la liberté à l’individu. Il se réduisait à un rôle d’outil logique appliqué aux corpus islamiques, permettant d’affiner les juridictions divines. Pour cette raison, l’héritage grec n’a jamais pénétré le monde musulman.

Ces deux civilisations sont définies par leur façon d’appréhender les textes. Lorsque les latins et les musulmans furent mis en contact avec les textes grecs, ils ne les lurent pas et ne les reçurent pas du tout de la même façon.

Il n’est guère étonnant que l’essor de l’Occident fut spectaculaire lors de l’émergence du courant humaniste du XIVe siècle. Ce courant préconisait alors le retour au texte. Chacun devait être en mesure de consulter les textes par soi-même et de s’en faire sa propre idée. Notre rapport au texte fut renforcé, et le couple moteur individualité-discipline au cœur de notre civilisation fut décuplé.

 

Conclusion. L’origine de l’Occident réside dans les prédispositions naturelles des peuples européens à manier le couple individualité-discipline.

Les peuples européens sont irremplaçables car ils sont les porteurs de ce rapport au texte. Nous sommes les lecteurs indispensables pour que ces principes puissent vivre. Ils sont dans notre chair. Notre attachement à l’héritage grec va bien au delà de la simple appropriation culturelle utilitaire: il y a quelque chose de charnel dans notre rapport aux œuvres classiques. Elles sont notre âme, et nous sentons qu’elles ne peuvent vivre qu’à travers nous. Nous partageons la même nature avec elles.

La nature de l’Occident ne réside pas dans les différents dogmes qu’il abrite. Libéralisme, socialisme, christianisme, républicanisme ou progressisme, toutes ces choses sont superficielles. Il est dramatique qu’il soit devenu acceptable de remplacer et d’altérer ces peuples pour poursuivre les idéaux de chacun de ces dogmes. Je crois dans ces peuples, nullement dans les idéologies qui les agressent en permanence. 

Ils ont leurs torts comme tous les autres peuples. Le monde est moche. Mais par leurs efforts, ils ont amélioré significativement les conditions d’existence de tous. Ils sont la branche sur laquelle repose le monde moderne. Et de fait, tout débat peut alors se résumer à cette unique question: “Est ce que la disparition des peuples occidentaux ne vous pose pas un problème?”.

Peter Columns

Entrepreneur, ingénieur spécialisé dans les technologies d’Intelligence Artificielle.